Parmi les 205000 œuvres et documents accessibles sur le portail documentaire du Musée de Bretagne et de l’Écomusée du pays de Rennes, nous trouvons quatre plaques directionnelles en fonte aujourd’hui appelées plaques de cocher. D’ici la fin de l’année (2020) deux plaques déjà répertoriées mais non photographiées devraient compléter cet échantillon breizh-illois de la signalétique du XIXème siècle.
Une occasion de retracer l’histoire de ces plaques à travers celle de leur département d’implantation. C’est en effet au sein des Conseils Généraux de chaque département que l’histoire des routes s’est écrit, chargés qu’ils étaient d’appliquer les circulaires nationales. C’est là que les services des Ponts & Chaussées et Vicinaux départementaux ont de manière concomitante redoublés d’efforts pendant plus d’un siècle pour aboutir à un réseau routier dont la densité est inégalée en Europe.
Ainsi, le simple fait de pouvoir admirer ces plaques aujourd’hui au sein du Musée n’est pas le fait du hasard. Léon Pérouas était entrepreneur de maçonnerie dans la commune de Vern-sur-Seiche et (sans doute après guerre) et il passa contrat avec les Ponts-et-Chaussées. Objectif: mettre en place la signalétique de l’époque, à destination des automobilistes, sur les routes du département. Il s’agissait sans doute de panneaux Michelin(1), lesquels furent implantés à partir de 1910. Un panneau en chassant un autre, et compte tenu des différents décrets relatifs à la signalisation, il dût sans aucun doute recevoir également la mission de démonter les plaques en fonte déjà en place. L’Instruction générale sur la Circulation Routière du 1er août 1946 précisait que les plaques en bon état devaient être conservées (et entretenues), mais la loi 55-434 du 18 avril 1955 ordonnait leur suppression.
Ainsi l’entreprise de M. Pérouas se retrouva avec ces antiques plaques retirées de la voie publique. Sans doute, et à juste titre, les trouva-t-elles dignes d’intérêt puisque non seulement il les conserva mais en fit don au Musée de Rennes. Ces vestiges d’une époque révolue démarraient ainsi une nouvelle vie, celle du petit patrimoine routier. Qu’il en soit ici remercié.
Le 27 août 1849, les Préfet d’Ille-et-Vilaine nouvellement nommé, E. Caffarelli(2), prononce devant le Conseil Général ce qu’on pourrait qualifier aujourd’hui de discours de politique générale. Cette intervention(3) porte principalement sur les bienfaits générés par la loi du 21 mai 1836 sur les chemins vicinaux. Cette loi, dite également loi Thiers Montalivet, permit aux préfets d’imposer les communes d’office, ces fonds devant répondre aux nécessaires investissements devant financer la création et l’entretien de la voirie. Le Préfet prend une décision qui se révélera capitale pour le développement du réseau routier: en Ille-et-Vilaine, il entend substituer le mode d’adjudication publique des travaux celui de la mise en régie, usité jusqu’à maintenant. Sans s’étendre davantage sur cette décision, voici la circulaire qu’il adressa aux agents voyers du département:
Pour me conformer au vœu émis par le Conseil Général ainsi que pour assurer une plus grande régularité dans la comptabilité des chemins vicinaux et une plus grande économie dans les dépenses, je vous informe qu’à partir du commencement de la campagne prochaine, aucun travail en régie ne devra être entrepris sur les chemins vicinaux, sans une autorisation spéciale et préalable de ma part.
Tous les travaux neufs à prix d’argent, ainsi que les fournitures de matériaux, tant pour les empierrements neufs que pour l’entretien des chaussées, devront être adjugés.
Je rendrai les agents-voyers ordinaires responsables de l’exécution de cette mesure générale.
Cette décision fut prise dans un souci de faire des économies, les budgets étant contraints. D’ailleurs, pour l’année 1850, les sommes allouées aux Routes Départementales (473 kms) passent de 185000 à 119000 francs, les sommes allouées au titre des travaux publics (notamment les chemins de fer) ont été énormément (sic) réduits, les travaux de réparation de l’hôtel de la préfecture reportés etc etc…
C’est dans ces conditions que seront passés les contrats portant sur la fabrication des panneaux indicateurs. Nous trouvons dans les comptes-rendus des délibérations du Conseil Général de 1862 à 1878 un certain nombre d’attributions budgétaires, ou bien définitive mais le plus souvent étalées sur plusieurs années. D’autres seront reportées, d’autres encore annulées. Il y avait bien sur des choix à faire entre le réseau des chemins de fer en plein développement, celui du réseau routier , mais aussi la construction des maisons d’école pour lesquelles les communes multipliaient les demandes de subvention.
Les deux années charnières pour la budgétisation des chemins furent 1867, année durant laquelle le Conseil Général en faveur des Chemins Vicinaux de Grande Communication et d’Intérêt Commun, et 1869, une somme identique ayant été également votée mais étalée sur 10 ans.
Bon gré mal gré, les routes d’Ille-et-Vilaine seront ainsi agrémentées de panneaux indicateurs en fonte et ceci par centaines.
En 1862(4) une référence à la circulaire du 19 août 1859(5) justifie la budgétisation de poteaux indicateurs mais aussi de bornes kilométriques, le chapitre dépenses diverses pour chemins vicinaux est augmenté de 1500 francs.. Et de manière prévisionnelle un budget de 2000 francs pour 1863 avec la même finalité. A noter, et ce n’est pas anodin, que ces crédits sont destinés aux Chemins de Grande Communication. C’était d’ailleurs l’un des objets de la circulaire précitée: étendre la signalisation aux Chemins Vicinaux.
Cette extension de la signalétique aux chemins vicinaux laisse supposer que les routes Nationales (Impériales ou Royales selon les périodes) en sont déjà pourvues. Ainsi deux des plaques sur les Routes Nationales 137 et 176.
-Cliquez sur la plaque pour format 2500-
Cette plaque était donc sur la Route Nationale 137 décrite à sa création en 1824 comme étant la route de Bordeaux à Saint-Malo par Rochefort, la Rochelle et Nantes. Nous voyons que le Nle de Nationale n’a pas fait l’objet d’un rajout comme c’est le cas pour les plaques posées sur les routes Royales ou Impériales. Par conséquent on peut la dater soit de 1848 à 1852 (1ere République) soit après 1870 mais avant 1880.
Nous savons, de part son graphisme et les caractères fondus qu’elle provient d’une fonderie parisienne, la fonderie Bouilliant(6). Cette fonderie spécialisée entre autre dans la production de plaques équipa une grande partie des routes Nationales françaises en passant contrat avec quasiment tous les départements. Nous trouvons sur la nationale 137 d’autres plaques de cette fonderie, telle par exemple celle de Tinteniac qui est d’ailleurs signée du logo HBBt. (Henri Bouilliant Brevet)
La Chaussairie, lieu d’implantation de la plaque, est en caractère italique. Or sur beaucoup de plaques, l’utilisation de cette typographie signifiait qu’il ne s’agissait pas d’une commune administrative mais d’un hameau ou lieu-dit. La Chaussairie faisait anciennement partie de la commune de Bruz. Il a été rattaché à la commune de Chartres-de-Bretagne en 1974. Aujourd’hui traversé par la D837, tracé initial de la Nationale 137.
-Sur cette photo / carte ultérieure à 1920 nous sommes bien sur la route de Nantes à Rennes-
Il est difficile de dire quand cette plaque fut ôtée mais sans doute après le contournement de la Nationale. Fut publiée en 1873 par la Société Archéologique du Département d’Ille-et-Vilaine un récit concernant une ancienne voie romaine:
Il y a lieu de croire qu’elle passait au village de La Chaussairie situé sur la route Nationale de Nantes à Rennes par Bain et à 9 kilomètres de Rennes.
Or comment savoir à l’époque que La Chaussairie est à 9kms de Rennes sinon en lisant les indications fournies par la plaque !
Reprenons le cours de nos investigations avec les archives du Conseil Général d’Ille-et-Vilaine. En 1863, 1864 et 1865, l’article 3 du budget (Frais généraux et dépenses diverses dont bornage des chemins et poteaux indicateurs…) est crédité de 10500 francs. En 1869 le Conseil prenant acte de la création de nouveaux chemins émet le vœu que soient mis en place aux embranchements des poteaux indicateurs. Cette année la également une demande renouvelée pour que soient établies le long des chemins des banquettes de sûreté(7) et des garettes (sic). Il s’agit d’épaulements sur le bas côté afin de leur donner plus de stabilité.
En 1871, le Conseiller Martin(8) recommande l’utilisation aux intersections de poteaux avec plaques en fonte émaillée. Si cette recommandation fut suivit d’effet (ce dont je doute) il n’existe plus aucune plaque de ce type en Ille-et-Vilaine.
En 1874 plusieurs Conseils d’Arrondissement, notamment ceux de Rennes et de Vitré, demandent l’établissement de poteaux indicateurs à l’embranchement des chemins. Et de préciser que cette mesure serait très utile mais entraînerait une dépense assez considérable (sic) car il faudrait substituer le bois à la fonte. Cette demande sera suivie d’effet mais il faudra néanmoins attendre 1876 pour qu’une budgétisation conséquente entraîne la fabrication de plaques et poteaux indicateurs répondant au besoin de développement du réseau routier vicinal.
En attendant d’examiner ce qui s’est passé au niveau de la signalétique en cette année 1876, examinons la seconde plaque sur une Route Nationale, la 176. A sa création elle est définie comme étant la route de Caen à Lamballe et à Brest. Nous lisons sur la plaque (caractères italiques) Mont-Ronault-Pleine-Fougères. Il s’agit du Mont-Rouault, un hameau de Pleine-Fougères traversé aujourd’hui par la D576, tracé initial de la Nationale 176.
On pourrait penser qu’il s’agit d’une erreur de typographie, soit de l’agent-voyer, soit du fondeur. En vérité, bien que l’on ne retrouve cette orthographe sur aucun compte-rendu de délibérations du Conseil Général de 1839 à 1937 (mais toujours Mont-Rouault), sur la carte d’état-major 1820 / 1866 nous trouvons Mont-Renault.
La plaque en elle-même, comme la précédente et pour les mêmes motifs, peut être datée soit entre 1848 à 1852 soit après 1870.
-Cliquez sur la plaque pour format 2500-
Une comparaison entre les situations du réseau routier en Ille-et-Vilaine en 1872 / 1873 et celle de 1850(9) nous permet de prendre la mesure du développement des voies de communication en moins de 25 ans.
ROUTES / Années | 1850 | 1873 |
---|---|---|
Départementales | 473 | 520 |
Chemins de Grande Communication | 1050 | 1117 |
Chemins d’Intérêt Commun | 0 | 1500 |
Chemins Vicinaux Ordinaires | 3200 | 2500 |
Le kilométrage du réseau augmente d’environ 1000 kilomètres mais ce qui est remarquable est le développement des Chemins d’Intérêt Commun. Ces voies de communication grâce à la loi de 1836 sont aujourd’hui financées et donc entretenues. Ce sont bien souvent des Chemins ordinaires de la voierie vicinale qui furent reclassés en C.I.C. Dans son rapport sur le projet de déclassement des routes départementales, de la Borderie (Waldeck)(10) souligne cette évolution:
L’article 6 (NDLR: de la loi sur les Chemins Vicinaux de 1836) mentionne bien des chemins intéressant plusieurs communes mais ne les nomme pas et n’en fait pas une catégorie spéciale. Le chemin d’intérêt commun (en italique dans le texte) n’est pas désigné dans la loi, il est seulement prévu comme un accident, comme une exception. Il y a trente-sept ans que la loi est faite, et les chemins d’intérêt commun, qui ne devraient, d’après elle, exister que d’une manière exceptionnelle, ont aujourd’hui, dans le département, une longueur de 1400 kilomètres, tandis que le réseau total des chemins de grande communication ne s’étend que sur 1117 kilomètres.
Si les chemins vicinaux ordinaires, internes aux communes et subventionnés uniquement par celles-ci, ne bénéficiaient que très rarement d’une signalétique pérenne du type plaques en fonte, le nouveau réseau et le développement des Chemins d’Intérêt Commun justifiaient la mise en œuvre d’un véritable programme de signalisation. Le coût estimé en 1875 par l’agent voyer en chef était de 22650 francs, ce prix couvrant la signalétique sur les chemins de moyenne et grande communication. Toutefois, cette opération ne devant être réalisée qu’après mise à niveau du bornage des chemins, elle fut retardée d’un an.
C’est donc par une décision du 29 août 1876 que furent budgétisés l’achat d’environ 250 poteaux auprès de la fonderie Lemarquand à Rennes. Un crédit de 7500 francs permettrait pour l’année 1877 d’acheter ces matériaux au prix de 30 francs pour un poteau avec une plaque, 37 francs pour un poteau avec deux plaques. Ces tarifs s’entendent rendus dans chaque chef-lieu de canton. (en train)
En outre, il fut décidé que la couleur des poteaux serait uniforme, que les plaques recevraient un teinte de fond correspondant à la nouvelle carte routière(11), à savoir: teinte bleue pour les routes départementales, teinte verte pour les chemins de grande communication, teinte jaune pour les chemins d’intérêt commun. Il est probable que cette recommandation, émanant du donneur d’ordre, à savoir le Conseil Général, ait été suivie d’effet. Quoiqu’il en soit, nous avons confirmation que la commande fut honorée, que tous les poteaux (plaques et poteaux) furent livrés et installés en 1877, 1878…
Le déclassement des routes départementales ayant eu lieu en Ille-et-Vilaine le 1er janvier 1882, si de nouvelles commandes furent passées, elles le furent après cette date. En effet ce type de réforme entraînait une modification tant de la classification que de la numérotation des voies. Ceci peut expliquer qu’il ne subsiste que très peu de plaques en dehors des routes Nationales. D’où l’intérêt d’avoir sauvegardé les réalisations sur des chemins de grande communication.
Le chemin de Grande Communication N°34 dont il est question ici est lié aux modifications de tracés mises en œuvre en 1882. Il s’agissait auparavant d’un Chemin d’Intérêt Commun pourtant le même numéro. On peut supposer que la plaque est issue de la fonderie Lemarquand à Rennes. Elle devait se situer à hauteur de la commune de Nouvoitou sur l’ancien tracé de la D34 actuelle (laquelle passait par le centre bourg).
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Je ne connais pas le tracé exact à l’époque de la mise en plaque de cette plaque du Chemin de Grande Communication N°48 mais il fut créé lui aussi vers 1882. Il s’agissait d’une transversale du Morbihan à la Mayenne.
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Le XXème siècle sonna le glas des plaques directionnelles en fonte, mais il faudra du temps pour les remplacer par une signalétique adaptée à l’automobile. Dés 1905, sur la circonscription de Montfort, une soumission fut présentée en vue de l’acquisition d’un lot de vieilles plaques indicatrices hors d’usage, d’un poteau indicateur également. ce fut sans doute le cas un peu partout dans le département.
En 1909, l’histoire se répétant sans cesse, le Conseil Général débattit sur le manque de poteaux indicateurs sur les routes nationales et sur le bien fondé de porter des inscriptions plus complètes sur les bornes kilométriques en y ajoutant par exemple les communes les plus proches. Exemple: les bornes entre Vitré et Châteaubourg mentionnent uniquement ces deux localités en omettant St Jean-sur-Vilaine et Ste-Melaine. De même entre Châteaubourg et Rennes, nulles mentions de Noyal et Cesson. Ce à quoi l’agent-voyer en Chef du département, L. Corbeaux, répondit à juste titre que le bornage n’était pas là pour indiquer touts les localités traversées et que pour ça il y avait une signalétique adéquate. Les panneaux qui furent apposés en 1910 furent ceux fournis par le Touring Club de France.
Puis Michelin arriva, et nous voilà ce soir…
(1)
En 1937 le Conseil Général d’Ille-et-Vilaine passait contrat avec Michelin pour un montant de 2304000 francs, dépense échelonnée sur une dizaine d’année. Il s’agissait d’implanter une signalétique sur les arrondissements de Rennes Sud-Ouest, Rennes Nord-Est et St Malo. En priorité devraient en être pourvus les Chemins de Grande Communication modernisés. (PV délibérations Conseil Général 1937/10)
(2)
Eugène Auguste de Caffarelli fut nommé préfet du département d’Ille-et-Vilaine, fonction qu’il exerça du 24 janvier 1849 au 9 mars 1851. De 1852 à 1869 il fut Député d’Ille-et-Vilaine. Bonapartiste.
(3)
Rapport et délibérations / Conseil général d’Ille-et-Vilaine / Rapport du Préfet 1849 / Facilement consultable sur Gallica.
(4)
Rapports et délibérations / Conseil Général d’Ille-et-Vilaine 1862
(5)
Vous pouvez trouver les circulaires citées dans cet article sur ma page consacrée à l’historique des plaques de cocher.
(6)
La fonderie Bouilliant était située dans le quartier de Belleville à Paris. Elle produisit un nombre important de plaques de ce type et son activité perdura jusqu’en 1880. Son successeur Grillot continua la production. Ici un article consacré à cette fonderie.
(7)
MM. les ingénieurs ont établi, de chaque côté des routes, une banquette en terre avec des bordures en gazon , et de nombreuses saignées pour conduire les eaux dans les fossés.
ANNALES DES PONTS ET CHAUSSÉES. TOME IV. 1854
(8)
Pierre Martin maire de Rennes de 1871 à 1879.
(9)
Rapports et délibérations / Conseil Général d’Ille-et-Vilaine 1872/4 – 1873 – 1850
(10)
Waldeck Lemoyne de La Borderie, maire de Vitré (1860), Conseiller général du canton de Vitré-Ouest (1861 → 1903), Président du Conseil général d’Ille-et-Vilaine (1889 → 1892)
(11)
En 1867, à la demande du Préfet, l’agent-voyer chef du département d’Ille-et-Vilaine fit éditer une carte routière et synoptique du département à l’échelle 1/80000. Sur cette carte chaque voie de communication avait une couleur. Ce procédé (un type de voie=une couleur) fut suggéré dés 1846 par E. Dumas, agent voyer en chef dans la Sarthe, repris dans les Annales des Chemins Vicinaux de la même année. On le trouve également dans le catalogue Bouilliant de 1849.
Pour voir la carte sur la site Gallica suivez ce lien: https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53084855d/